« Vous voulez produire des moustiques ? Ah ça non ! » Lorsqu’il apprend les premiers mots du projet de la startup Terratis, un maire de l’Hérault réagit vertement. « On reçoit beaucoup de plaintes de citoyens à propos des moustiques », explique-t-il à Clelia Oliva, chercheuse et fondatrice de Terratis. Si l’anecdote, bien réelle, prête à sourire, elle résume l’originalité de l’innovation portée par la jeune pousse montpelliéraine : produire des moustiques mâles stérilisés par rayonnement, puis les relâcher, chaque semaine, dans des zones à protéger, pour limiter la prolifération des femelles sauvages. Ces mâles stérilisés s’accouplent avec les femelles, sans produire de descendance. Un procédé efficace : « Ce sont les femelles qui piquent, et non les mâles », précise Clelia Oliva. Résultat : une diminution de la population de l’espèce ciblée, sans avoir recours aux pesticides. D’après l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), la fertilité des moustiques sauvages est réduite, avec la technique de l’insecte stérile, de 60 % à 70 % dès la première année, et la population de moustiques femelles chute de 40 %.
Zones de tests
Cette solution prometteuse va être testée à différentes échelles : ville, quartier, parc, aéroport, camping, hébergement touristique… Docteure de 39 ans, Clelia Oliva s’est piquée d’intérêt pour les insectes, lors d’un stage à Montpellier. Au point d’en faire une thèse, en 2012, sur le thème « Développement de la technique de l’insecte stérile sur le moustique tigre », soutenue à La Réunion, « là où la technique a été développée ».
Pourquoi ce sujet de niche ? « Mes études m’ont amenée à la recherche en écologie et la protection de l’environnement. Les alternatives aux pesticides chimiques suscitent une forte attente chez les filières agricoles. C’est dans ce cadre que je me suis penchée plus avant sur la technique de l’insecte stérile. Je l’ai étudiée lorsque j’étais en stage à Montpellier et à l’étranger, dans le laboratoire de la FAO/AIEA (faisant référence en agriculture), et différents instituts. Cette technique m’a passionnée. Je la trouve incroyable, par son impact sur la santé humaine, environnementale et animale. Elle offre des débouchés prometteurs, y compris sur le moustique porteur de la malaria. »
Avoir un impact
Mais rester dans le monde de la recherche ne suffisait pas à cette scientifique entrepreneuse, native de Pézenas et d’origine italienne par ses parents (Turin et Milan). « J’avais la frustration de ne pas pouvoir aller plus loin. Je voulais contribuer à des aspects opérationnels. Terratis, créée en janvier 2024, me permet de transformer la recherche en impact ». L’autre motivation, « c’est d’être des pionniers. Toutes les briques sont à mettre en place sur cette technique. Nous sommes la première entreprise sur ce créneau. Il existe deux acteurs utilisant la même technique, sur d’autres marchés, et deux entreprises se développant comme nous sur le moustique tigre, mais visant des capacités de production inférieures ».
Usine pilote
Première étape : le lancement d’une usine pilote, dans la zone d’activité Parc 2000 (quartier Mosson, Montpellier), pour vendre des insectes stériles à partir d’avril. « Nous commencerons sur des sites de 50 à 100 hectares, en fonction de notre capacité de production. Les premiers clients sont des villes et des acteurs privés de l’hôtellerie de plein air », confie Clelia Oliva, qui a suivi ses études supérieures à l’Université de Montpellier. Pour une efficacité, il faut produire 3.000 moustiques stériles par hectare (seuil à partir duquel la majorité des femelles s’accouplera avec des mâles stériles). Terratis cible une capacité de 1.000 hectares en 2027.
En parallèle, la phase industrielle se profile. « Nous cherchons un site pour implanter une ferme d’élevage d’insectes, sur 4.000 m² de bâti, pour pouvoir traiter jusqu’à 40.000 hectares. S’y trouveront des larves et des moustiques à l’état adulte, une zone de stérilisation, un laboratoire… Il s’agira d’une véritable usine, avec des enjeux d’automatisation, pour réduire les coûts et accroître la productivité ». Le souhait premier est de rester en Occitanie, a priori à Montpellier. « La décision relative à la localisation de la future bio-usine doit être prise avant fin 2025 », glisse cette maman de deux jeunes enfants de 2 ans et 8 mois. « La naissance de mes enfants correspond aux phrases de création et de développement de Terratis, sourit-elle. Les activités de mère et de cheffe d’entreprise sont toutes deux très prenantes… avec des similitudes, car je me sens un peu maternelle avec les employés. Créer des emplois est une fierté : nous en sommes à 7, et 5 de plus sont prévus en 2025, sur des profils de production, robotisation, automatisation et chercheurs. Je veille à délimiter les cadres personnels et professionnels. C’est important. »
Vendre des moustiques
Si le besoin de lutter contre les moustiques-tigres est évident, Terratis devra aussi trouver le bon argument commercial. « Nous sommes les premiers à vendre des moustiques pour lutter contre les moustiques. Il nous faut donc innover sur la communication, pour expliquer et convaincre. Notre solution est écologique, éprouvée et moins chère que les dispositifs actuels », avance-t-elle.
Issue de la recherche et labellisée MedVallée, une démarche de santé globale portée par Montpellier Méditerranée Métropole et soutenue par la Région Occitanie, Terratis, sur tous les fronts, est en phase de finalisation de levée de fonds en décembre, pour financer la stratégie industrielle, le développement d’automatisations de parties de l’élevage et le projet d’usine. À plus long terme, l’objectif est aussi « d’aider les pays en développement à monter en compétences dans la lutte anti-moustiques », projette l’entrepreneuse, qui se définit comme une « optimiste ».
Dès ses premiers pas, l’entreprise a été soutenue par la Région Occitanie, avec une subvention de 10 k€. « Cette aide anté-création a été décisive. Elle m’a permis de travailler sur une étude de marché et un plan de communication, en lien avec mon futur associé, Dorian Barrère, en charge des aspects commerciaux », conclut-elle. L’écosystème dans lequel s’épanouit Terratis est aussi constitué de Montpellier Méditerranée Métropole, le BIC, la CCI 34, la Satt AxLR et l’IRD.
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